Deuxième épisode
Égarement

Cette nuit là fut très noire.
Elle marqua cependant d’une pierre blanche la vie du maire de notre ville.

La Pierre Blanche était là, d’ailleurs, tombée, énorme, au beau milieu de la place de l’Hôtel de Ville.
Le maire était debout devant elle, dans la cohue confuse de ses administrés et la ville toute entière, plongée dans une obscurité sinistre, s’agitait, fourmilière écrasée par un coup de talon.

         - Une pierre dans mon jardin... Une pierre dans mon jardin... répétait stupidement le maire, parlant d’une voix douce à sa cravate qu’il tenait à la main.
Elle lui sourit.

- Tout ça a quelque chose de solennel, de proprement insupportable ! pensa-t-il...

Dans le geste qu’il fit pour prendre sa tête entre ses mains, la cravate se glissa tout autour de son cou et il se sentit mieux.
Une espèce d’entendement lui vint.
Il se vit là, en chemise, veston et cravate, sans rien d’autre d’ailleurs et ceint de son écharpe - l’essentiel y était - face à cette chose monstrueuse et blanche qui, pierre ou pas pierre, à y voir de plus près, à y voir vraiment, bougeait...
Il put même distinguer comme une invitation dans ce mouvement là…

Le sentiment du devoir l’envahit tout soudain et, sans plus réfléchir, il avança, sentant derrière lui la tension de la foule monter comme une angoisse...

... Nébuleuse...
La pierre était un brouillard dense, d’un blanc intense et pur...
Courageusement, notre maire fit violence à la panique qui lui brouillait la tête… Il fonça !
Ce qui advint alors fut des plus surprenants : il se sentit disparaître…
Il n’avait plus de corps ! Il ne se voyait plus !

Et sa ville s’étendait à ses pieds, toute déshabillée.
Magnifique et déshabillée.
Un ordre splendide régnait là… Quelques écrêteuses de rues fonctionnaient encore, finissant leur ouvrage… Le réseau des égouts brillait, sous les trottoirs, de leur beau rouge fluorescent…
Et jusqu’à la caserne de la Grande Militre, écrêtée elle aussi, qui laissait voir à tous l’harmonieux agencement de ses mille alvéoles...
Mais tout était désert !
Une éprouvantable sensation de sorditude saisit le maire. Sa mélancolie coutumière s’affola.

           - Me revoir ! pensa-t-il, éperdu... 
          - Te revoir ? grinça une voix aiguë... S’il en est encore temps ! 

Cela clissait du Piocher de Sainte Cloîtrine.
Quelque chose se mit à flotter, tout barigoulé de montres glibulantes et ça continuait de clisser .

- Temps pour qui ? Tant pour quoi ? Choisis ce que tu veux, prends les tous à la fois, il faut un Temps pour tout et chaque chose en son temps ! Fabuchez-moi tout ça ou sinon v’z-êtes couit...

Et ça clissait, de plus en plus verchu :

- Fayote l’Ordre du Temps, fagote le Temps de l’Ordre ! Vive le Jour Immobile ! 

Et la chose trobiottait d’enthousiasme.
Puis elle se mit à planocher en proutant des réveils cuivriques, de Sainte Cloitrine à l’Hôtel de Ville.
Ça faisait une jolie passoirelle vrillante et clabuchante du Piocher au Veffroi.

         -  Plus temps de te revoir, on t’a bien assez vu ! 

clissa encore la chose avant de se picher sur la güille du Veffroi.

Le maire en fut détruit.
Tout flocheux qu’il était lui restaient quelques forces :

         -  Ver à poutre !  hurla-t-il et il se sentit pieux.
Il était le meilleur, il l’avait toujours su…

Suite du deuxième épisode...