Suite du deuxième épisode

Alors, d’un coup, ce fut terrible !
La ville, en bas, se gondola...
Insidieusement, elle devenait aqueuse. Littéralement aqueuse !
Tout ce bel ordre bien militré ! Aqueux !
Ça se peuplait, en transparence, d’une grouilline de larves immondant tout !
Affreux !

Il fut pris d’un vrotige nauséeux, fiévrotique. Sa ville, ses couvoles, ses clapions, son cacult, les écrêteuses de rues, les écrémeuses d’égouts, tout ça aqueux, de plus en plus aqueux !!!
Il craqua.

Tout ce maire là ne fut plus que zigzags de souffrance et, juste à ce moment, comme en apothéose, la passoirelle se déchaîna, hystérie collective de réveils débridés, foisonnante et aiguë, aussi terrible qu’une idée non reçue...
Et qui insiste...

Ce qui restait du maire était - littéralement - indéfinissable...
Et c’est ainsi qu’on le trouva.

Vu de loin, au premier abord, ce fut un maire recroquevillé, tout hébété, que les premiers éboueurs démarrant leur tournée trouvèrent affalé là, sur les marches de l’Hôtel de Ville.
Comme ils avaient l’habitude de prendre le café tous ensemble, maire compris et que le peuple est bon, ils ne firent pas de commentaires.

Mais certains - tous - n’en pensèrent pas moins.
La benne - qui partait dans la bonne direction - ramena le maire à sa femme.
À une heure très matinale.
Elle était très inquiète, ne trouva pas ça drôle, mais remercia, bien sûr. Puis trouva son mari encore moins drôle et même très perturbant :

- La situation de l’emploi exige l’adoption de mesures importantes d’ordre législatif ! cria-t-il lorsque, après de vaines tentatives pour se faire reconnaître de lui, elle le secoua violemment..

Il continuait, à pleine voix, sans sourciller, très exalté :

- Or, l’encombrement du calendrier des travaux parlementaires, notamment en période budgétaire et le souci de permettre aux assemblées de disposer de délais suffisants pour examiner les dossiers ne permettent pas d’envisager le vote de ces mesures à bref délai ! 
Ver à poutre ! Quelle pluche !
gémit-il tout soudain.

Et il fondit en larmes.
Elle le secoua encore plus fort. Il s’arrêta, bouche ouverte, le regard vide...
Mieux valait le silence.
On le coucha.

Une semaine plus tard, on en était au même point.
Le psychiâtre municipal, déjà passablement atteint, songeait, dans l’amertume, aux piqûres paradines avec risques de flottements...

- Gagner du temps... Pouvoir tout de même le sortir en public... pensait-il, atterré.

Les jours passèrent...  Et pas la moindre explication.

Mais au matin du neuvième jour, la sonnette de l’appartement où résidait le maire fut attaquée de si furieuse façon que ce fut une ruée vers la porte, pour faire arrêter ÇA!

Le concierge était là, hagard, en proie à une violente panique, montrant du doigt quelque chose, là, sur le paillasson...

Suite à la parution de PSITROUILLE, le livre...

Lecture du préambule de Psitrouille par Francine Bergé de la Comédie Française

memenuit

Puis ce fut le silence.
Une seconde d’un silence énorme...
Imaginez une ville entière, arrêtée, suspendue, comme une question idiote mais très embarrassante.
Le temps de se reprendre, comme si de rien n’était.
Mais tout de même, ce silence là, ce jour là, fut bien la preuve que tout avait bougé.

La culpabilité flottait sur bien des têtes.
Et pourtant, il n’y eut pas d’explication.

À ce moment précis, quelque part dans la ville, Celia, une enfant de sept ans, vivait une drôle d’aventure.
Penchée à sa fenêtre elle contemplait un étrange personnage qui chevauchait le toit de la maison d’en face.
Tranquillement assis là, il jouait avec ses mains. Ou plutôt, les faisant voleter autour de sa tête, il semblait converser avec elles.

Curieuse conversation, parlant une drôle de langue : une langue-musique…
De petits cris très vifs - de haut en bas très vite - coupés d’éclats de rire et de plaintes très douces avec, par ci par là, de grands silences où le bonhomme semblait écouter quelque chose.

De drôles de grands silences. Une chose neutre et vide. L’absence totale du moindre son.
Cela étourdissait.
Quand les bruits revenaient ils étaient tout neufs, d’une précision incroyable.
C’était très agréable.

Et ce brouillard étrange qui empanachait tout ! Ça faisait très joli.

Il y eut encore un silence, comme un grand vide...

Mais, cette fois, au coeur de ce vide, venu de très loin, surgit un bourdonnement sombre, une musique sourde et rouge qui évoqua immédiatement pour Celia ce nid d’insectes, muré dans de vieilles pierres contre lesquelles on avait posé son oreille, un jour, il y a très longtemps.

Elle avait eu très peur ! Intimité terrible, ce contact direct avec un espace immense et invisible, caché dans le secret d’une autre dimension... C’était s’écouter l’intérieur...

Et là, maintenant, cette vibration intense et affairée, c’était la même chose. C’était habité et vivant, hanté par le battement de son coeur et balayé du souffle lent de l’air qu’elle respirait.
Celia était toute absorbée. Les yeux fermés, elle écoutait.

Et de s’entendre ainsi la fit se sentir peu à peu toute flottante, ouatée, fondue, légère comme une plume.
Elle volait.
L’appui de la fenêtre n’existait plus. Celia se sentit planer, puis, très lentement, tomber, tout droit, sans avoir peur du tout.
Elle était ronde, transparente, très confortable en quelque sorte et portée...
Cela dura le temps de plein de battements de coeur.

Puis, brutalement, elle sentit de nouveau contre elle l’appui de la fenêtre.
Elle  ouvrit les yeux, effarée.
Il n’y avait plus personne, le toit de la maison d’en face était vide, quant à elle-même, Celia, elle n’avait pas bougé.

Quelques heures plus tard, au dîner, le récit que lui fit sa fille inquiéta bien un peu le maire de notre ville.
Cette histoire de silence, de brouillard, de bonhomme sur un toit...
N’avait-il pas, lui aussi, et à peu près à la même heure, ressenti un singulier malaise et n’avait-il pas vu ses propres collaborateurs, qui s’essuyer le front, qui se lever brusquement, très pâle ou s’aggripper à la table du conseil des deux mains et tout le monde, enfin interroger furtivement l’assemblée du regard ?
Il n’y avait pas eu entre eux d’explications, c’était là l’essentiel.

Mais cette histoire d’enfant... Étrange tout de même.
Un agacement le prit :

           - Rêveries et rodomontades !
trancha le père de Celia, qui était aussi notre maire et aimait bien les mots savants.
Si quelque chose s’était passé, on le ferait fait savoir en haut lieu !
Ne pas se tromper d’importance surtout, c’était ça l’important !
Et le tout se noya dans une affaire de tout-à-l’égout bien plus indispensable.

Mais, la même nuit, le même maire changea d'avis...

 

 Deuxième épisode
Égarement

Cette nuit là fut très noire.
Elle marqua cependant d’une pierre blanche la vie du maire de notre ville.

La Pierre Blanche était là, d’ailleurs, tombée, énorme, au beau milieu de la place de l’Hôtel de Ville.
Le maire était debout devant elle, dans la cohue confuse de ses administrés et la ville toute entière, plongée dans une obscurité sinistre, s’agitait, fourmilière écrasée par un coup de talon.

         - Une pierre dans mon jardin... Une pierre dans mon jardin... répétait stupidement le maire, parlant d’une voix douce à sa cravate qu’il tenait à la main.
Elle lui sourit.

- Tout ça a quelque chose de solennel, de proprement insupportable ! pensa-t-il...

Dans le geste qu’il fit pour prendre sa tête entre ses mains, la cravate se glissa tout autour de son cou et il se sentit mieux.
Une espèce d’entendement lui vint.
Il se vit là, en chemise, veston et cravate, sans rien d’autre d’ailleurs et ceint de son écharpe - l’essentiel y était - face à cette chose monstrueuse et blanche qui, pierre ou pas pierre, à y voir de plus près, à y voir vraiment, bougeait...
Il put même distinguer comme une invitation dans ce mouvement là…

Le sentiment du devoir l’envahit tout soudain et, sans plus réfléchir, il avança, sentant derrière lui la tension de la foule monter comme une angoisse...

... Nébuleuse...
La pierre était un brouillard dense, d’un blanc intense et pur...
Courageusement, notre maire fit violence à la panique qui lui brouillait la tête… Il fonça !
Ce qui advint alors fut des plus surprenants : il se sentit disparaître…
Il n’avait plus de corps ! Il ne se voyait plus !

Et sa ville s’étendait à ses pieds, toute déshabillée.
Magnifique et déshabillée.
Un ordre splendide régnait là… Quelques écrêteuses de rues fonctionnaient encore, finissant leur ouvrage… Le réseau des égouts brillait, sous les trottoirs, de leur beau rouge fluorescent…
Et jusqu’à la caserne de la Grande Militre, écrêtée elle aussi, qui laissait voir à tous l’harmonieux agencement de ses mille alvéoles...
Mais tout était désert !
Une éprouvantable sensation de sorditude saisit le maire. Sa mélancolie coutumière s’affola.

           - Me revoir ! pensa-t-il, éperdu... 
          - Te revoir ? grinça une voix aiguë... S’il en est encore temps ! 

Cela clissait du Piocher de Sainte Cloîtrine.
Quelque chose se mit à flotter, tout barigoulé de montres glibulantes et ça continuait de clisser .

- Temps pour qui ? Tant pour quoi ? Choisis ce que tu veux, prends les tous à la fois, il faut un Temps pour tout et chaque chose en son temps ! Fabuchez-moi tout ça ou sinon v’z-êtes couit...

Et ça clissait, de plus en plus verchu :

- Fayote l’Ordre du Temps, fagote le Temps de l’Ordre ! Vive le Jour Immobile ! 

Et la chose trobiottait d’enthousiasme.
Puis elle se mit à planocher en proutant des réveils cuivriques, de Sainte Cloitrine à l’Hôtel de Ville.
Ça faisait une jolie passoirelle vrillante et clabuchante du Piocher au Veffroi.

         -  Plus temps de te revoir, on t’a bien assez vu ! 

clissa encore la chose avant de se picher sur la güille du Veffroi.

Le maire en fut détruit.
Tout flocheux qu’il était lui restaient quelques forces :

         -  Ver à poutre !  hurla-t-il et il se sentit pieux.
Il était le meilleur, il l’avait toujours su…

Suite du deuxième épisode...

premierepisode
premierepisodeimg premierepisodeimg2

Il était une fois un jeune homme comme tout le monde.
Tellement comme tout le monde qu'on ne le voyait pas.
Dans notre ville, les gens lettrés disaient de lui qu'il était... anodin... Les autres ne disaient rien ou ... Bof !... lorsqu'on insistait.
De toutes façons chacun vivait sa vie et Dieu sait si cette chose vous prend tout votre temps.

Il n'y avait, dans notre ville, que les enfants et les vieillards pour s'étonner des choses. Les uns par découverte les autres avec regrets... Mais ça semblait normal et personne n'y prêtait attention.
"On avait bien le temps de découvrir et on aurait bien le temps de regretter", voilà pour la morale communément admise.
Quant à ce qui allait de travers, il y aurait toujours des explications.

On s’occupait. Tellement, très fort, le plus possible... D’abord tout seul. Ensuite les uns les autres. Il y avait tant à faire pour exister, être vu, ne rien rater, qu’on n’avait plus le temps de Rien…

Si bien qu’un jour, quand ce jeune homme disparut, personne ne s’en aperçut.

Et, sans y prendre garde, on l’oublia.

À l’exception peut-être de cette vieille dame qui fut la seule à s’étonner d’un parfum de printemps, très insolite à cette époque de l’année et de ce jeune homme aussi joli qu’étrange qu’elle avait croisé et qui riait tout seul.

Une sorte de joie lui était venue à le voir rire et elle avait souri, contente.

C'était rue de la Chance, une rue qu’elle empruntait toujours pour rentrer chez elle.
"On ne sait jamais" disait-elle.

C’était très peu de jours, très peu de temps vraiment avant que "ça" se passe.

Et c’était ce parfum...

Le même parfum flottait le jour où tout bougea.

suite du premier épisode